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mise à jour 20 janvier 2014
| Chronique Festival Pagliardi, Caligula delirante, Le Poème Harmonique, dir. Vincent Dumestre
© Maroussia Podkosova Giovanni Maria Pagliardi (1637-1702)
Caligula Delirante (1672 – créé à Venise au Teatro San Giovanni e Paolo)
Caligula – Olivier Coiffet – ténor Cesonia – Caroline Meng – soprano Artabano/ Domitio – Florian Götz – baryton Tigrane/ Claudio – Jeffrey Thompson – haute-contre Teosena – Hasnaa Bennani – soprano Gelsa/ Nesbo – Serge Goubioud – ténor
Compagnie Figli d’Arte Cuticchio Mise en scène Alexandra Rübner & Mimmo Cuticchio Le Poème Harmonique Dir. Vincent Dumestre
4 Octobre 2012 – L'Apostrophe, Théâtre des Louvrais, Pontoise dans le cadre du Festival de Pontoise
Une œuvre de folie
Nous avions assisté au printemps
dernier à l'Athénée à la création de
cette œuvre extraordinaire à double titre. Extraordinaire d'abord par
l'exhumation de cet opera de Giovanni Maria Pagliardi, connu pour avoir
laissé sept opéras. Ce Caligula Délirante, créé
au Teatro San Giovanni e Paolo de Venise le 18 décembre 1672 et dont on
conserve l'édition du livret à la Biblioteca Nazionale Braidense dédié à
Jean-Frédéric de Brunswick-Lunebourg et Ernest-Auguste de Hanovre s'inscrit
encore dans la filiation post-cavalienne (d'ailleurs le livret avait déjà
été utilisé par Cavalli pour La Pazzia in trono ovvero Caligola delirante
inachevé), avec une intrigue extrêmement complexe que nous n'essaierons pas
de résumer, riche en protagonistes, pleine de bruit et de fureur :
travestissements, trahisons, tentatives d'assassinat, répudiation, et bien
entendu scène de folie, le tout vaguement inspiré de Suétone et Dion
Cassius. Le langage musical d'une grande souplesse, ne renie pas les
récitatifs accompagnés, et les ariosos mais laisse déjà éclore de petits
airs, et possède un nombre relativement élevé de ritournelles. D'ailleurs,
les deux premiers actes s'achevaient avec un ballet, respectivement
Ballo de Pittori et Ballo de Pazzi.
©
Maroussia Podkosova
Mais ce n'est pas la recréation intégrale de ce Caligula Delirante que nous convie Le Poème Harmonique, et, ce qui était d'abord un regret au vu de l'extrême qualité de l'œuvre qui est parfois réminiscente du Couronnement de Poppée (c'est dire), devient par le défi de la réduction en marionnettes le second éléments remarquable de ce projet. En effet, conformément à une pratique de l'époque, l'opéra est ici condensé par de nombreuses coupes, en quelque sorte miniaturisé, pour être à l'échelle de... sa mise en scène puisque l'œuvre est interprétée parallèlement sur le théâtre de marionnettes. Ainsi, c'est avec une subtilité colorée, parfois comique, que les alter ego des chanteurs menés d'une main de maître par les pupettistes de la compagnie Figli d'Arte donnent vie sur la petite scène aux péripétie des chanteurs. Et cette mise en abîme triangulaire entre le chanteur, son image et son Deus ex machina, se révèle d'une poésie naïve irrésistible, tantôt attendrissante, tantôt ironique, tandis que les marionnettistes n'hésitent pas à interagir parfois avec leurs créatures de bois pour les consoler, ou à surgir en portant la Lune sur leur dos lors d'une séquence nocturne sublime. La variété de tons de l'œuvre, conjuguant le comique (renforcé ici par une truculente panthère qui vient embêter le monarque lors de sa collation) et le tragique permet aux marionnettes de déployer des registres très différents, allant des rodomontades de la commedia dell'arte, à des tableaux plus nobles et plus oniriques, sans compter quelques duels épiques. La répudiation de l'impératrice Cesonia par son époux volage, ou encore la scène de délire de l'Empereur drogué par cette dernière, aux yeux remplacés par de brillantes pierreries, sont ainsi des moments d'anthologie.
Quand bien même la salle des Louvrais semble médiocrement adaptée à un exercice aussi intime, qui réclame un petit espace, afin que le chant nuancé des solistes et les reflets nacrés d'un Poème Harmonique en formation de théâtre populaire vénitien (soit moins d'une dizaine d'instrumentistes, loin des débauches sonores d'un Orfeo de cour) puissent toucher le spectateur, plongé dans la semi-pénombre des bougies, la magie de ce Caligula a rapidement fait son effet sous la direction sensuelle et fluide de Vincent Dumestre. Le Poème étale la douceur grainée de ses cordes, et le flottement perlé de ces cordes pincées. Tout au plus aurait-on pu souhaiter l'insertion dans le continuo d'un positif en sus du clavecin, qui aurait permis de varier encore plus les couleurs (scène nocturne par exemple). On admire en particulier l'art de Vincent Dumestre de conduire cette synthèse de l'opéra sans que le côté fragmentaire de la réduction ne nuise à l'enchaînement dramatique, quand bien même l'avalanche de rebondissements, et notamment la résurrection finale de Caligula qui donné pour mort retrouve ses esprits en fait un lieto fine particulièrement alambiqué mais jubilatoire.
A côté de la fosse, puisque la scène est occupée par les marionnettes, les solistes, pour la plupart familiers de l'œuvre depuis sa recréation, à l'exception notable de Jeffrey Thompson qui remplaçait au pied levé Jean-François Lombard souffrant, ont délivré un chant raffiné, avec des personnage très caractérisés. On distinguera en particulier la royale Cesonia de Caroline Meng, aux aigus ronds et puissants, ainsi que la Gelsa truculente mais touchante de Serge Goubioud. Le Caligula d'Olivier Coiffet n'a sans doute pas la chaleureuse humanité du timbre unique de son devancier Jan van Elsacker, mais le soin apporté au phrasé, la noblesse générale du personnage, plus passionné que tyran, en font un despote somme toute très fréquentable. Il nous a enfin paru, sous toutes réserves en raison de l'acoustique du lieu et d'un style de chant qui ne permet guère de s'exprimer à pleine voix, que l'Artabano de Florian Götz, animé et investi, manquait toutefois de projection.
Quoiqu'il en soit, il convient de saluer la réussite exemplaire de ce spectacle au charme suranné, où la grandeur et l'enfance se rejoignent au sein d'une palette nimbée de mille couleurs, où le grand opéra historique tend la main aux rêves qui traînent dans la poussière des ruelles palermitaines. Et à l'image de cet Empereur si éperdu d'amour qu'il en devient fou, l'on s'est senti ce soir-là l'espace d'un instant proche de ce berger qui voulait étreindre la pleine Lune.
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