"Sous la couche épaisse de nos actes, notre âme d'enfant demeure inchangée ; l'âme échappe au temps." (François Mauriac)

D’un regard, Jordi Savall donne aux quatre musiciens le signal du départ ; alors s’élève la musique, envoûtante et lentement cadencée, et les musiciens ne forment plus qu’un seul corps, un seul esprit qui s’épanouit sous le chœur en demi-voûte de l’église Notre-Dame de Pontoise. Le rythme régulier des percussions, soutenant la voix chaude du rebec de Savall, entrainent l’esprit vers des contrées lointaines et brûlantes sous le soleil méditerranéen, et peu à peu disparaissent le décor baroquisant de cette belle bâtisse francilienne. Débute alors un extraordinaire voyage de l’âme, qui navigue de port syrien en port galicien, survole les pourtours de la Méditerranée, vaste bassin où s’épanouit notre civilisation arabo-judéo-chrétienne, visite des villes lointaines de l’ancien Empire Ottoman, va à la rencontre de l’esprit des anciens peuples pour réconcilier ces mille communautés que l’on croit irrémédiablement éclatées. Dans la bouche de la belle Montserrat Figueras se mêlent les langues de ces civilisations méditerranéennes : espagnol, portugais, grec, arabe…aux sonorités orientales si exotiques pour nos oreilles plus nordiques. Par exemple, cette romance de « El Moro de Antequera », dite « Sarajevo » où le chant appelle le désert de Galice, un univers minéral brûlé par une touffeur aride et douce…

Jordi Savall ne se départ jamais de son calme olympien ; il alterne tranquillement le rebec, la lyra et le rebab, magnifiques instruments anciens qui à la fois guident les chants et donc les sonorités graves et modulées font également office de basse continue. On notera en particulier le son exceptionnel et évocateur de l'oud de Driss El Maloumi, pinçant des cordes dont la voix claire et racée vient de temps à autre se mêler à celle de Montserrat Figuerras, nous faisant irrésistiblement penser à un poète persan du XVIème siècle au pied de sa maîtresse.

Pendant le concert, le regard est attiré également par le jeu de Pedro Estevan, aux percussions, qui caresse, frotte, gratte, tapote ses tambourins et tambours ; et par le plus discret Dimitris Psonis, dont les doigts agiles volètent au dessus de son santur et de sa morisca, instruments tout byzantins s'il en est...

Le concert dure près de deux heures, au bout desquelles l'auditeur, brusquement arraché à un troublant envoûtement, a envie de souffler : « Peut-on recommencer ? ». Généreux, Savall  - qui aime dialoguer avec son public présentant par exemple les instruments utilisés - se lance, en guise de bis, dans une belle prière chantée autrefois par les pèlerins qui s'arrêtaient au monastère de Montserrat, et fait participer l'auditoire en lui demandant de chanter les répons. Une chanson séfarade clôt enfin le concert, et le public se résout alors à se lever des chaises dont il se rend compte tout d'un coup qu'elles sont toujours aussi inconfortables .

Festival baroque de Pontoise* (17 septembre - 24 octobre 2010, Pontoise et les alentours)

Site officiel du Festival : www.festivalbaroque-pontoise.fr