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mise à jour 6 janvier 2014
| Chronique Concert
Rameau, Dardanus dir. Raphael Pichon
Raphael Pichon © Franck Ferville pour Cinquièmes Cordes
Jean-Philippe Rameau (1683-1764)
Dardanus (seconde version de 1744)
sur un
livret de Charles-Antoine Le Clerc de la Bruère. Version de concert
"Que vois-je ? Dardanus !" (Iphise, II, 5)
Après les Gretry, Dauvergne, Monsigny et consorts, qu'il fait bon enfin de retrouver une - véritable - tragédie lyrique à l'Opéra Royal ! Et qui plus est, ce Dardanus recréé dans sa seconde version de 1744 dont on ne connait habituellement que le grand air "Lieux funestes", qui est à Dardanus ce que les "Tristes apprêts" sont à Hippolyte & Aricie.
Mais, comme à notre habitude échevelée, nous vendons déjà les captifs avant d'avoir pillé la cité, et il faut bien l'espace d'un instant revenir sur le contexte de ce 5e opus opératique ramiste. Dardanus, sur un livret de Charles-Antoine le Clerc de la Bruère fut représenté le 19 novembre 1939 à l'Académie royale de Musique. Le succès en fut mitigé, et l'œuvre ne connut que 26 représentations sur les quarante espérées. La faute à l'audace de la musique ramiste, aux harmonies parfois déconcertantes, à l'écriture incroyablement riche, mais aussi à un livret critiqué pour sa construction maladroite et ses épisodes surnaturels sans grand sens dramaturgique. Pourtant, c'est cette version de 1739, matinée de 1744, que les mélomanes connaissent tous, notamment par le biais du live de Marc Minkowski (Archiv), alors même que la mouture de 1744, dotée dune refonte considérable des trois derniers actes, s'avère beaucoup plus équilibrée. Ainsi la reprise de cette dernière, en 1760, donna lieu à 60 représentations, et lors de la dernière, Rameau fut applaudi dans sa loge, ce qui n'était guère habituel comme le souligne le Mercure François ("Qu’un auteur à la représentation d’une pièce nouvelle soit applaudi du public enchanté de l’ouvrage, rien n’est moins étonnant, ni plus naturel. Mais qu’à la dernière représentation d’un ouvrage repris et qui a été joué un grand nombre de fois, ce même public, en voyant l’auteur dans sa loge, se tourne vers lui et lui adresse ses applaudissements avec transport, c’est ce qui n’est guère arrivé qu’au célèbre Rameau à la fin de son opéra Dardanus qui a été donné pour la dernière fois le dimanche 9 novembre"). L'initiative de Raphael Pichon est donc tout à fait louable, ne serait-ce que du point de vue de la pure curiosité musicale. Elle est plus que cela, grâce à une interprétation racée et élégante, colorée et agile, en dépit d'une petite baisse de tonus dans le 2nd acte, et - hélas - de la lecture quasi vériste de Bernard Richter, que l'on avait cependant apprécié dans la recréation d'Atys à l'Opéra Comique l'an dernier.
Raphael Pichon aborde Rameau en coloriste. Dès l'Ouverture (qui n'est pas reprise à la fin du Prologue), on admire l'équilibre des formes, le raffinement moiré, l'attention portée aux timbres et aux articulations. Voilà un Rameau souple, brillant, extraverti, un brin plus fougueux que chez Gardiner, sans excès sanguins : cordes précises et aux ornements judicieux, percussions communicatives, bois sages, graves trop peu présents, l'Ensemble Pygmalion dénote une belle maîtrise, à nos yeux plus aboutie que chez leurs incursions chez Bach. Le miroitement ramiste, son inconstance troublante sont pleinement rendus, notamment dans les premiers et troisième actes, avec paradoxalement une continuité narrative d'une grande justesse, où l'overdose de menuets, marches et autres tambourins - plaisants mais encombrants - n'immobilise pas trop l'action. Les chœurs sont également bien restitués, le Choeur Pygmalion faisant preuve d'une projection convaincante, et d'une diction intelligible, en dépit de graves appauvris. Comme nous le disions précédemment, il est étonnant que le 2nd acte, avec les sorcelleries d'Ismenor, équivalent de l'acte infernal, ait souffert d'un éphémère passage à vide. Une ritournelle d'une luxueuse modernité, l'Isménor de Joao Fernandez, impérieux et profond, frisant ici le cabotinage dans ses allitérations en "rrr", ne pallient pas des incantations peu inspirées ("Entendez ma voix souveraine" instable), et un orchestre monochromatique.
Gaëlle Arquez © Dominique Desrue
Du côté de la scène, le plateau vocal est inégal. Dans le Prologue, si la Vénus charmante et aux aigus perlés de Sabine Devieilhe peine un peu dans les graves, l'Amour d'Emmanuelle De Negri, au superbe timbre, paraît malheureusement sous-employé. Il faut dire que le premier rôle d'Iphise, princesse éprise de l'ennemi Dardanus, échoit à la ravissante Gaëlle Arquez à la majestueuse présence, qui de son soprano félin, sait rehausser l'intrigue. Dès le récitatif "Cesse, cruel Amour", on découvre, subjugué, une femme passionnée et entière, un chant généreux, parfois un peu trop large et très legato, mais d'une efficacité dramatique redoutable et captivante dans son abandon et sa fière spontanéité. Son "O jour affreux" de l'acte III, d'une noblesse affligée, emporte aisément l'adhésion. Idem pour l'Anténor de Benoît Arnould, galant repoussé, à l'héroïque tenue, au timbre agréable, malgré ce soir-là des aigus émoussés. On s'avouera nettement moins convaincu par le Roi Teucer d'Alain Buet, qui incarne de son timbre chaleureux un monarque brouillon et vieillissant, aux emportements mesurés, et au courroux moins belliqueux que contrarié ("Ma fille, enfin le ciel seconde mon courroux"). Surtout, dans le rôle-titre tenu, Bernard Richter se comporte en paladin tyrannique, écrasant de sa projection surhumaine les vers du librettiste, sans respect aucun pour la prosodie, et escamotant les nuances psychologiques de son personnage. La voix est belle, mais les articulations souvent stylistiquement incorrectes, les récitatifs mesurés chantés/hurlés à pleine voix perdent toute charge évocatrice au profit d'une expressivité brutale et déplacée (je l'ai su, j'ai volé, j'ai devancé vos pas"). Le basson mélancolique et tendre de l'attendu air "Lieux funestes" se sent ainsi bien seul dans sa déploration face à un haute-contre assuré et rayonnant, fanfaronnant avec franchise un désespoir dépoitraillé frisant le romantisme. Il suffirait pourtant d'un chant mieux cadré, à la manière de son incursion lullyste, pour que Richter retrouve le droit chemin de la tragédie lyrique.
En attendant le prochain enregistrement de cette œuvre chatoyante et
prometteuse, nous conserverons de cette soirée le souvenir de la grande
tragédienne de l'Iphise de Gaëlle Arquez, et du flot tumultueux de ce
Dardanus à l'intrigue efficace et resserrée.
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Affichage recommandé : 1280 x 800 Muse Baroque, le magazine de la musique baroque tous droits réservés, 2003-2014
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