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Chronique Festival

Rousseau, Le Devin du Village

La Simphonie du Marais, dir. Hugo Reyne

 

 

Maurice Quentin de La Tour, Portrait de Jean-Jacques Rousseau, pastel sur papier. Musée de Genève - D.R.

 

Jean-Jacques Rousseau (1712–1778)

 

Le Devin du village

 

Léonor Leprêtre, Colette

Mathias Vidal, Colin

Arnaud Marzorati, le Devin

 

La Simphonie du Marais

dir. Hugo Reyne

 

7 août 2012, Logis de la Chabotterie, dans le cadre du Festival Musiques à la Chabotterie

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"Mon chalumeau, ma houlette

Soyez mes seules grandeurs;

Ma parure est ma Colette,

Mes trésors sont ses faveurs."

Colin, I,5

 

On imagine guère qu’un orchestre se confronte à deux programmes aussi différents, à quelques semaines d’intervalles, que la Simphonie du Marais : d’un côté, les Brandebourgeois, sommet d’un art du contrepoint et de l’orchestration, œuvre, un peu aussi, de démonstration ; de l’autre, Le Devin du village, "intermède", qui fait vœu de la plus naïve simplicité aussi bien littéraire que théâtrale et musicale.

 

Il est vraisemblable que tout et son contraire a été dit sur Jean-Jacques Rousseau musicien. Copiste de musique toute sa vie durant, se voulant musicien et théoricien de la musique, il composa finalement assez peu, et ce Devin du village est assurément son œuvre la plus connue. Représentée avec succès à la Cour, à Fontainebleau, dans une version pas tout à fait achevée, farcie de pièces de Francœur, Philidor, Dauvergne, dont le manuscrit se trouve actuellement au Palais Bourbon, l’intermède connaîtra aussi le succès à l’Opéra, dans une version cette fois entièrement due à la plume de Rousseau ; le Devin sera même joué jusqu’en 1826, jusqu’à ce jour où un mauvais plaisant accusa l’âge de la pièce en une mise en scène qui marqua les esprits : "pauvre Rousseau ! Pouvait-il prévoir que son cher opéra, qui excita tant d'applaudissements, tomberait un jour, pour ne plus se relever, sous le coup d'une énorme perruque poudrée à blanc, jetée aux pieds de Colette par un insolent railleur ?" (Berlioz, Mémoires, chapitre XV).

 

 

 © Accent Tonique, 2012 

Et pourtant, le voici qui se relève ! Plusieurs tentatives ont été faites pour donner à entendre cette drôle de partition, à commencer par la version la plus répandue, dirigée par Louis de Froment, qui réunissait sous sa baguette Nicolaï Gedda, Janine Micheau et Michel Roux (EMI, enr. 1956), et jusqu’à, tout récemment, une version enregistrée par une équipe allemande sous la baguette d’Andreas Reize (CPO, 2007), en passant par l’abondamment rééditée — et fade — version de René Clémentic (Nuova Era, 1991). Pourtant, aucune n’a vraiment convaincu. Il y avait lieu de s’inquiéter d’une nouvelle reprise : est-ce que, finalement, ça en valait la peine ?

 

Force est de reconnaître que la pièce se tient en fait assez bien. Elle n’est certes pas dénuée de maladresses, voire de naïveté, et certains passages en sont particulièrement… osons le mot : particulièrement ratés — nous pensons au "Gai" initial de l’ouverture, un peu répétitif, à l’ineffable mélodie de l’air de par lequel l’opéra débute, "J’ai perdu tout mon bonheur", ou encore au chœur "Colin revient à sa bergère". Cependant, il y a aussi les airs de Colin, qui sont presque tous agréables, voire franchement réussis — "Dans ma cabane obscure", par exemple, évoque parfaitement une atmosphère ; il y a aussi les deux duos entre les amoureux, "Tant qu’à mon Colin j’ai su plaire", puis "À jamais Colin t’engage son cœur et sa foi" ; et l’air du Devin "L’amour croît s’il s’inquiète" n’est pas sans rappeler les airs d’Uberto dans La Serva Padrona de Pergolèse.

 

L’intrigue est bien connue : Colin a délaissée sa bien-aimée Colette pour une grande dame ; le Devin du village conseille à Colette de se détourner de lui pour mieux le ramener à elle… Mais à vrai dire, Colin est déjà convaincu, avant même les manœuvres de Colette, qu’il doit revenir à ses premières amours. À leur réconciliation succède un long divertissement qui occupe la moitié de la partition, dans lequel est figuré une noce de village, et entre autres joyeusetés une longue pantomime dansée.

 

De toutes ces pages, ou presque, Hugo Reyne et son équipe parviennent à faire ce qu’elles sont : un intermède, une œuvre légère, simple, et finalement sans conséquence. L’entrain que tous y mettent est communicatif, et même l’ouverture, malgré sa faiblesse, "passe". Les passages dansés du divertissement, qui auraient pu être ennuyeux — l’harmonie en est assez plate, et les talents de mélodiste de Jean-Jacques brillent ailleurs —, mais l’enjouement a raison de l’ennui.

 

 Frontispice de l'édition chez Le Clerc, Paris, 1765 © BNF / Gallica

La version proposée dans la cour d’honneur de la Chabotterie, et donc devant ce vénérable logis, est légèrement mise en scène, mais là encore, sans prétention : il s’agit simplement d’exécuter les indications du livret, et de mettre quelques costumes, pour qu’on y croie. On pourrait souhaiter, de ce côté, un travail de direction d’acteur et de gestion de l’espace un poil plus achevé, mais, bah ! ce n’est pas si mal. Notons par ailleurs que le divertissement final fait intervenir deux danseurs et une danseuse, dans une chorégraphie de Marie-Christine Daviet — chorégraphie un rien fade, à laquelle il manque peut-être un peu d’inspiration pour rendre la simplicité des deux paysans (Éloïse Vequaud et Jean-Baptiste Leroy) plus intéressante pour le spectateur ; le danseur Clair Poignard, en "méchant" gentilhomme tentant de séduire la jeune bergère à l’aide de ses richesses, s’y est montré excellent : il s’est brillamment acquitté de sa partie, plus virtuose, laquelle apportait un peu d’éclat et relevait agréablement le spectacle.

 

La distribution vocale s’est avérée inégale, dominée par un Mathias Vidal (Colin) en grande forme : la voix, timbrée sur toute la tessiture, parvient aisément à se faire entendre et à transmettre aussi bien le charme des mélodies de Rousseau que le texte — sans doute en fait, comme lui-même le signalait avant le concert, l’élément le moins réussi du Devin. Il donne à son personnage une sincérité touchante, aussi bien musicalement que scéniquement, et se joue des difficultés de la partition — en particulier des aigus, que Rousseau ne se prive pas de solliciter.

 

Léonor Leprêtre, en Colette, ne nous a pas pleinement convaincu. Le rôle est sans doute encore plus difficile, puisqu’il demande presque une tessiture de mezzo-soprano, mais avec des aigus faciles, ou bien un soprano au médium grave ferme pour porter certains passages, comme le tout début de l’opéra ; parallèlement, l’ariette finale exige des qualités de vocalisation semblables aux ariettes de Mondonville ou de Boismortier (la Japonaise dans Don Quichotte chez la Duchesse). Léonor Leprêtre ne semble pas vraiment posséder ce profil vocal ; elle peinait à se faire entendre dans "J’ai perdu mon serviteur", et les duos avec Colin la laissaient en retrait ; dans l’ariette "Avec l’objet de mes amours", la voix peinait encore à passer l’orchestre, et les coloratures ne nous ont pas parues très nettes. Signalons néanmoins un investissement sur scène tout à fait honnête, échappant au ridicule — ce qui n’est guère facile — et ce, dès la première scène.

 

 © Accent Tonique, 2012

Le Devin lui-même, c’est-à-dire Arnaud Marzorati, a finalement moins à chanter que les autres : l’air "L’amour croît s’il s’inquiète", une bonne dose de récitatif, et deux couplets dans le divertissement final. Il assure cependant son rôle avec brio, grâce à sa voix assurée, sa diction impeccable et sa présence dynamique. Ses récitatifs sont vraiment du théâtre, et il joue un personnage plus malin qu’inquiétant avec énergie et bonhommie.

 

Les interventions du chœur, malgré la faiblesse de leur écriture, sont empreintes d’une joie, de la part des choristes, communicative, tant et si bien qu’on se croirait véritablement à une fête. C’est une des qualités essentielles de la Simphonie du Marais également : pas de brusquerie, mais de l’enjouement à tous les pupitres. Les récitatifs, accompagnés du violoncelle poétique de Jérôme Vidaller et du clavecin inventif de Manami Haraguchi-Delafuys — à qui revient également la basse continue, exécutée avec élégance, de quelques jolis airs de Colin —, avancent sans se presser et trouvent leur juste expression.  Hugo Reyne a fait un vrai travail sur les phrasés et les dynamiques, donnant à la partition de Rousseau des couleurs et une vivacité insoupçonnées.

 

Une fois achevé le Devin, nous n’allâmes pas, comme le chante tout le chœur dans la farandole finale, "danser sous les ormeaux", mais, comme chaque année, un feu d’artifice de Jacques Couturier venait clore le festival. Et la parole revenait alors à Rameau, dont la Naïs servait de bande sonore à ce festival — enregistrement de la Simphonie du Marais à paraître au début d’octobre prochain. Une façon, pour Hugo Reyne, sans lancer de polémique, de faire cohabiter dans la même soirée les deux "rivaux" Rameau et Rousseau — du moins dans la tête de Jean-Jacques.

 

Alors, ça en valait la peine ? Oui, car cette lecture de la Simphonie du Marais a su donner à l’œuvre ce qu’il lui fallait : un peu d’invention, de la simplicité, et un partage joyeux avec le public, sous le sceau de la sincérité.

Loïc Chahine

Site officiel de la Chabotterie : http://chabotterie.vendee.fr

Site officiel de la Simphonie du Marais : www.simphonie-du-marais.org

Jean-Jacques Rousseau : Lettre sur la Musique française (1753) "Maintenant que les bouffons sont congédiés, ou prêts à l'être"

 

 

 

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